L’aventure commence avec plus de onze minutes de musique instrumentale, et le placement est loin d’être anodin. Les PENCARROW veulent qu’on sache exactement là où ils souhaitent nous emmener, là où justement la musique est un langage universel qui se dispense aisément de mots transformés en notes. Des notes cristallines, des notes évanescentes, mais aussi des percussions qui cognent au lointain, des arpèges qui volent avec les aigles, et des strates de sons qui comme les plaques tectoniques, glissent et transforment le panorama. Pour autant, le groupe néo-zélandais ne se veut pas instrumental, et propose un chant, lui aussi assez calme et apaisé, qui colle parfaitement à la bande-son proposée en avant-plan. Jeune groupe originaire de Wellington, PENCARROW fait déjà preuve d’une maîtrise incroyable en termes de composition et d’interprétation, et il est assez amusant de constater que leur second LP frappe le marché en même temps que le dernier Neal Morse. La comparaison peut heurter les sensibilités au regard de l’immense carrière de Morse, mais la musique des néo-zélandais se rapproche pourtant en bien des occurrences de la sienne, comme elle se love au creux de l’inspiration des plus grands agitateurs des seventies. Pas de bio à vous mettre sous les yeux, les sites se montrant étonnamment silencieux à l’égard de ce quatuor qui mérite pourtant bien des discours. Je peux simplement vous dire que ce quatuor (Justin Chorley - batterie, Tonnie ten Hove - guitare/chant, Anthony Rose - claviers et Todd Thompson - basse) a déjà publié un premier longue-durée, Dawn Simulation, en août 2016, qui contenait moins de morceaux, mais deux longues suites de plus de quinze et dix-sept minutes. Deux albums parus à quatre ans d’écart, mais quasiment le même jour, et traitant peu ou prou du même thème : la lumière, naissante ou absente.
Y aurait-il un désir de symétrie chez ces musiciens précis et d’une classe folle ? Il faut dire que la lumière, ou son absence, détermine notre perception, la portée des sons, et la distance qui sépare deux points éloignés dans l’espace. Et les deux points qui se rejoignent sous l’impulsion de ce magnifique Growth in the Absence of Light sont l’avancée seventies du FLOYD et de YES, et la continuation personnelle des FLOWER KINGS et de PORCUPINE TREE. Oui, les néo-zélandais sont le chainon manquant entre la tradition et le modernisme, et ne se gênent pas pour le montrer, passant d’une digression pure et instrumentale à une chanson plus puissante et chantée. Et sans vouloir jouer les béni oui-oui, leur musique est d’une beauté troublante, et au moins équivalente en qualité et en culot au dernier TOOL. Alors que justement le monde s’extasie dès que Maynard s’exprime tous les dix ans, ce genre de groupe évolue dans une ombre qu’ils ne méritent pas, leurs chansons étant largement aussi complexes et riches, et certainement plus chargées en émotion. Il suffit d’écouter l’alambiqué « Stasis / Flux » pour comprendre que la seule chose qui intéresse les PENCARROW est le partage, la communication, l’abnégation, l’utilisation de la technique en tant que moyen et non but, et loin des errances modernes du Metal progressif stérile et basé sur des structures maintes fois éprouvées et digérées, Growth in the Absence of Light rappelle la magie du YES de Tales from Topographic Oceans, ou celle du PORCUPINE TREE de légende. Certes, j’en conviens, une entame comme « In Medias Res » n’hésite pas à faire les poches du Roger Waters de la seconde moitié des années 70. Mais une fois misées ces quelques piécettes dans la machine, le groupe lui rend sa rapine au centuple. Et entre des soli stratosphériques combinant Morse et Gilmour, parfois Petrucci, et des plans rythmiques acrobatiques qui passent pour de simples 4/4 les doigts dans le nez, le tout respire l’aube d’un nouveau jour pour le Rock progressif qui n’en finit plus d’envoyer ses meilleurs et plus jeunes représentants au front.
Les meilleurs combattent en dernier dit-on. Et en écoutant les onze longues pistes de ce second album, je ne puis qu’être d’accord avec cette assertion. Plus qu’un disque, ce LP est un voyage aux confins du possible, une exploration des possibilités mélodiques les plus poussées, et presque du Post progressif selon des canons de jugement contemporains. Totalement conscients de ne pas pouvoir faire bouger le genre autant qu’il ne le faudrait, les musiciens se laissent aller à l’expression la plus pure, taquinant le classique et James Horner sur le long et Ambient « Silent Beauty: Bittersweet Memories of Embrace », qui ridiculise le DREAM THEATER conceptuel de sa majesté et de son humilité. Et comme toutes les œuvres de Progressif trop personnelles pour être rattachées à un modèle préétabli, Growth in the Absence of Light nécessite des heures d’écoute pour être apprécié dans sa plénitude et révéler la majorité de ses secrets. C’est une musique qui se passe d’explication, et qui fait appel au ressenti de chacun, cette part d’humanité qui se cache parfois au plus profond de nos souvenirs, et qui justifie cette foi que nous avons encore en quelques musiciens qui évitent les facilités pour se souvenir que l’art n’est jamais gratuit, et ne tombe pas forcément du ciel. Ce second LP a même quelque chose d’enfantin en soi, comme un dessin fait par un enfant et qui révèle déjà des aptitudes à la concrétisation des émotions, mais qu’un adulte transcrira dans son langage plus complexe pour lui donner le relief qu’il mérite. Ainsi, le sublime « New Light », plus Rock que véritablement Metal (comme la majorité de l’album, à quelques exceptions près) ressemble à s’y méprendre à du Devin TOWNSEND, alors qu’il suggère aussi un vocable universel, compréhensible par tous. Il y a du MARILLION de légende là-dedans, celui de Steve, celui qui foulait du pied les frontières pour aller au-delà de toute limite.
Peu prolixe en distorsion, mais incroyablement fertile en harmonies célestes, cette absence de lumière révèle une nuit de beauté, de candeur, que la guitare extraordinaire de pertinence de Tonnie ten Hove traduit formidablement, mais aussi un fait incontestable et une logique indéniable : après la nuit, vient le jour, et les visages se trahissent, mettant un nom sur les poèmes nocturnes. C’est plus ou moins ce qu’avoue « Twins Paradox: Confessions of a Capitalist Lover », avec ses envolées en solo dignes de The Wall, et c’est ce que dit sans détour l’acoustique « The Approaching Shade ». Evidemment, on aimerait souvent que la nuit ne connaisse pas de fin, comme ces hivers nordiques qui empêchent le soleil de se lever. Mais le soleil se lève toujours, peu importe où, et révèle ce que la pénombre cache de plus précieux. Les PENCARROW font partie de ces trésors de l’aube, et méritent d’être reconnus comme les sauveurs de la poésie harmonique et technique.
Titres de l’album:
01. In Medias Res
02. Portrait of My Intimate Frailty
03. A Meeting of the Shadows
04. Time Dilation
05. Stasis / Flux
06. Silent Beauty: Bittersweet Memories of Embrace
07. New Light
08. Memory Terminal
09. Twins Paradox: Confessions of a Capitalist Lover
10. Deep Abandon
11. The Approaching Shade
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Moshimosher + 1 pour ce qui est de mon album préféré et de la news qui n'est malheureusement pas si surprenante que ça au vu de la vie du gaillard...
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