Un temps certain s’était écoulé depuis ma dernière incartade Black Metal, mais je mettais cet oubli sur le compte d’une exigence de plus en plus formelle envers un style duquel j’attendais toujours plus, au regard de la créativité dont le genre est capable de faire preuve. Il me fallait du sang neuf, bien loin des turpitudes de démos mal enregistrées et se voulant témoin d’un esprit roots qui n’avait plus grand-chose à dire depuis longtemps lui non plus…Alors, au hasard des découvertes, je tendais l’oreille sur des produits de bonne qualité cela va sans dire, mais assez prévisibles dans le fond, et manquant d’audace dans la forme. Jusqu’à ce que finalement, je parvienne à débusquer non la perle rare - l’exagération ne rendant jamais service aux créateurs - tout du moins sur un groupe suffisamment novateur et fascinant pour me convaincre de vous le présenter en ces lignes. Et c’est en Biélorussie que j’ai débusqué la nouveauté me réconciliant avec le genre, via le second EP des locaux de KHANDRA, jeune groupe à l’existence encore fragile, mais à la personnalité bien affirmée. Fondé en août 2017 du côté de Minsk, ce duo extrême n’a pas perdu la moindre seconde avant de nous exposer ses vues par l’entremise d’un premier court, publié en octobre de la même année, All Is of No Avail. On y trouvait les prémices d’une approche assez personnelle, en parfaite adéquation avec un nom suggérant la mélancolie, mélancolie adaptée à un cadre très brut et une vision très abrupte, qu’un second EP vient confirmer de sa superbe pile un an plus tard, dans une exactitude temporelle aussi troublante que sa philosophie artistique.
KHANDRA, ce sont donc d’abord deux musiciens, Dmitry Romanovsky (guitare/basse, ESSENCE OF DOOM) et Vladimir Borodulin (chant, DOWNCROSS, ex-RELICS OF HUMANITY), se complétant dans le minimalisme qu’une musique pleine et riche vient contredire de ses ambitions. Si la trame de base de leurs morceaux s’ancre dans un réalisme BM notable, les arrangements complexes, les changements de tempo, l’imbrication des riffs et la progression globale apportent une lumière nouvelle sur des dogmes anciens, constituant ainsi l’ossature d’un concept aussi intrigant que puissant. Refusant de sombrer dans les affres d’un Black atmosphérique aux digressions stériles, les KHANDRA privilégient plutôt la pluralité, s’appuyant sur des mid et down tempo soutenant des parties accrocheuses et mémorisables, évoquant de facto une sorte de Heavy Black poli aux entournures, mais gardant l’esprit frondeur de ses propres origines. Difficile toutefois d’établir des parallèles, et de poser quelques comparaisons en béquille, puisque les évolutions de constructions prônent une diversité empêchant toute affiliation directe, un peu comme si la seconde vague de BM de l’est se confrontait de plein fouet aux enseignements des orateurs nordiques des nineties. Ne reste plus alors qu’à se contenter de la musique pour apposer un jugement personnel sur ce There is no Division Outside Existence, aux quatre et uniques morceaux laissant un arrière-goût de trop peu, mais comblant nos attentes les plus pointues.
Pas de révolution à espérer d’un EP qui reste dans la lignée des travaux précédents, mais beaucoup de pertinence et de violence, et surtout, une science de la progression qui permet à des idées de se confronter et se compléter le long d’un timing étiré. Et si sur les quatre entrées de ce second EP, seules trois sont de véritables chapitres (« Into the Absolute Nothingness » n’étant qu’une intro, aussi pénétrante soit-elle), elles contiennent suffisamment de richesse harmonique et de sécheresse rythmique pour capter l’attention des fans d’un BM moins traditionnel qu’il n’y parait, mais pas encore assez expérimental pour rebuter les plus attachés à l’ordre mondial. Loin des délires de la vague avant-gardiste des DODECAHEDRON, DEATHSPEEL OMEGA et autres chantres de la disparité instrumentale dissonante, les KHANDRA n’en sont pas pour autant de simples défenseurs d’une tradition abrasive, et agrémentent leurs compositions d’arrangements acides, de stridences dérangeantes, et de lignes vocales rauques mais prenantes. Ainsi, la pièce terminale « Progressing in Desolation » juxtapose la lourdeur douloureuse d’un Post Doom apoplectique, la rigidité d’un BM en tempo médium, dans un élan que le MAYHEM de la grande époque aurait pu partager avec les DARKTHRONE pas encore perdus dans leurs délires Black N’Roll plus risibles que convaincants. On pense aussi irrémédiablement à la nouvelle génération de groupes français, ceux qui ont osé briser le carcan de la domination scandinave, et les noms de NIGHT, d’HYRGAL, et de MOONREICH peuvent être cités dans le contexte sans paraître déplacés.
Et si les orientations canadiennes les plus crues sont occultées au profit d’une modulation mélodique affirmée, « Decaying into the Ascended » prouve sans ambages que la cruauté peut cohabiter avec l’harmonie, sans trahir les codes et briser les sceaux. Développant de longs passages en litanie torturant des harmonies pour les décharner, KHANDRA continue d’explorer son propre univers, aux reliefs escarpés, aux monochromes soudainement illuminés pour une dualité lumière/ténèbres plus que probante. Dotés d’un son parfaitement adapté à leur démarche ambivalente, les biélorusses posent les jalons d’un monde à venir, dans lequel les guitares assassines et les mélodies insidieuses cohabitent sur fond de rythmique mouvante, mais toujours percutante. Sans inonder les tympans des auditeurs d’informations superfétatoires, les deux musiciens tiennent quand même à conférer à leur musique la richesse dont elle a besoin pour se déployer, osant des morceaux dépassant les six, sept et huit minutes, sans répéter ou rabâcher les mêmes thèmes, mais en leur offrant la continuité logique dont ils ont besoin pour imposer leur véritable nature. De fait, There is no Division Outside Existence, ses textes abscons et ses théories nihilistes, s’impose non comme une porte de sortie (le style restant l’un des plus riches de la scène extrême), mais comme une voie alternative au milieu du chaos, imposant sa violence intrinsèque pour mieux la renier d’une modulation harmonique imposante. Une dualité intéressante appelant un effort longue-durée qui pourrait se prévaloir d’incarner un renouveau, ou au moins une échappatoire valable. Une nostalgie crue, pour une cruauté triste et belle comme un hier sans lendemain.
Titres de l'album :
1. Into the Absolute Nothingness
2. Decaying into the Ascended
3. There is no Division outside Existence
4. Progressing in Desolation
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