Fatal Opera

Fatal Opera

01/01/1992

Autoproduction

Inutile de revenir là-dessus, le début des années 90 fut cruel pour les artistes estampillés Metal. Seule une poignée de ceux ayant brillamment survécu à la hype des années 80, soit parce qu’ils avaient refusé toute notion de look et de clan (METALLICA), soit parce qu’ils avaient anticipé la fusion à venir (RED HOT CHILI PEPPERS), soit parce qu’ils avaient flairé l’arnaque et adapté leur vision (PANTERA, mais personne n’écoutait PANTERA dans les eighties à part leurs potes), réussit non seulement à surnager, mais à se transcender et à incarner une nouvelle génération plus « pure », débarrassée de tout gimmick trop connoté, et donc apte à séduire une nouvelle génération de fans, plus portés sur la sincérité d’un Cobain ou d’un Staley, d’une Alanis ou d’une Love que sur les excès de Vince Neil et les débordements de couleurs d’MTV. Bref, pour résumer encore une fois l’affaire, le « Grunge » (quel terme affreux…) n’a pas tué le Metal, il en a juste tué une conception, celle du musicien-héro, admiré de tous dans sa Porsche et flanqué d’une blonde siliconée, répétant ad nauseam la même formule à base de riffs Pop noyés dans une production clinquante. En quête de vérité, la scène internationale s’est donc détournée de ses role-models d’antan, mais s’il est un style qui a au moins autant souffert que le Hair Metal, c’est bien le Thrash. Déjà relégué en seconde division quelques années plus tôt par le surplus d’énergie mortifère Death, le genre tomba en totale désuétude à l’orée des nineties, vestige d’un passé rebelle auquel plus personne ne s’identifiait. Les gloires intouchables tiraient leurs dernières cartouches létales avant de se ranger des voitures, et les acteurs de série B tentaient tant bien que mal de continuer le combat qu’ils savaient pourtant perdu d’avance. D’autant que Phil, Dimebag, Vinnie et Rex se préparaient au plus gros hold-up de violence de la décennie, en adaptant leur véhémence à ce désir de groove et de fluidité que les années 90 allaient imposer en termes de composition et de production. Mais dans l’ombre de l’ombre, sous l’underground de l’underground, des musiciens aussi irréductibles que nos proverbiaux gaulois s’agitaient, refusant de poser leurs armes aux pieds des conquérants. Et c’est ainsi que les premières années de cette nouvelle décennie allaient voir émerger des albums passés complètement inaperçus, et réhabilités sur le tard.

Je n’ai pas l’envie dans cette chronique de dresser un tableau exhaustif de toutes les œuvres d’importance passées sous silence lors de l’agonie Thrash de 1992/1995. Cette étude fera l’objet d’un dossier plus tard, et recensera tous les disques sombrés dans l’oubli méritant une réhabilitation (dont certaines sont déjà faites). Je ne souhaite parler que d’un seul disque, publié dans l’indifférence la plus générale en 1992, avant d’être réédité dans une indifférence pas plus polie trois ans plus tard par un label référentiel. Mais avant d’entrer de plain-pied dans la musique, étudions au préalable son background. En 1992, le nom de Gar Samuelson ne veut plus dire grand-chose depuis longtemps, depuis 1987 plus exactement, date à laquelle le talentueux batteur se vit indiquer la porte de sortie du local de répète de MEGADETH par son irascible dealer. Héros percussionniste des deux premiers LP de la créature de Dave Mustaine, et les deux meilleurs pour beaucoup de fans de la première heure, Gar Samuelson était à l’instar de son collègue Chris Poland un instrumentiste aux influences variées, piochant plus allègrement sur les portées du Jazz-Rock que dans les caisses décaties du Punk, et son jeu de batterie sur Peace Sells en disait long sur son talent d’équilibriste. Après être devenu selon la légende marchand de tapis (selon son ex-boss, toujours aussi ironique que roux), le preux cogneur de fûts repris son destin en main, et fonda une nouvelle entité en compagnie de son frère Stew, destinée à replacer les débats sur le terrain de la technique et de la brutalité. Peu enclin à vendre son âme pour coller à l’air du temps, le placide frappeur se tourna alors vers une forme très expérimentale de Thrash, alors en plein creux d’une vague qui n’allait pas atterrir sur la plage avant longtemps. Et à l’image d’un MORDRED poussant de plus en plus loin ses expérimentations de fusion, et de toute une ribambelle de groupes fermement décidés à garder la flamme ardente, FATAL OPERA se voulait chantre d’un Metal hautement technique, touffu, dense et reposant sur des qualités individuelles notables, transcendées par un collectif en pleine osmose. Et c’est ainsi qu’après une première démo anonyme en 1991, naquit l’un des albums les plus étranges et fascinants de sa décennie, Fatal Opera

Pour être honnête et clair, ce premier album n’était pas foncièrement du Techno-Thrash dans le sens le plus CORONER/WATCHTOWER du terme. Il n’était pas un exutoire pour techniciens/mathématiciens en mal de reconnaissance et lardant leurs compositions de breaks en équilibre et d’arythmie incessante. Si bien évidemment la musique était agressive, si bien sûr les chansons étaient parfois construites sur un canevas inextricable, l’ensemble du travail reposait sur une recherche sonore qui n’hésitait pas à inclure divers éléments, dont des traces patentes de Hard-Rock plus mordant, et de Progressif planant. Toutefois, une poignée de titres auraient sans conteste pu se mesurer aux prouesses des meilleurs représentants du genre, à l’image de « Kill 'Em », véritable tuerie de funambule qu’on aurait pu trouver entre « Instruments of Random Murder » et « The Eldritch » sur le mythique Control And Resistance. Mais le reste du répertoire trop varié et versatile pour être labellisé nous renvoyait à la liberté des seventies, lorsque aucune limite n’était permise et toutes les audaces autorisées. D’abord publié en cassette à compte d’auteur en 1992, Fatal Opera connut un second souffle par l’entremise de Massacre records qui le réédita en tape trois ans plus tard de façon plus officielle. Mais une fois encore, avec un format peu adapté à son époque, une pochette retravaillée pour faire plus Metal (celle d’origine collait parfaitement au parfum étrange et indéfinissable de l’album), la sortie resta aussi confidentielle que le tirage, d’autant que la structure de ce premier LP n’aidait pas le fan éventuel de Techno-Thrash à s’identifier à ces nouveaux représentants. Car si d’ordinaire, les chefs d’œuvre du genre ne se gênaient pas pour remplir l’espace avec des compositions homériques dépassant la bienséance des quatre ou cinq minutes, Fatal Opera prônait une sorte de retenue temporelle fort peu à propos pour allécher les amateurs de longues digressions complexes héritées du FLOYD, d’UZEB et autres démonstrateurs.

D’ailleurs, plus que d’un exercice de style, ce premier album se rapprochait plus des expérimentations ombrageuses de BLIND ILLUSION. Outre des signatures rythmiques inhabituelles, il se plaisait à mélanger les sonorités étranges de la scène progressive seventies la plus hermétique, et les arabesques de la fusion Jazz-Rock de la même décennie. Ce qui n’empêchait pas le quatuor (Travis Karcher - basse, Gar Samuelson - batterie, Stew Samuelson - guitare et Dave Inman - chant) de se laisser aller aux joies d’un Metal agressif et puissant (« Dead By 1998 »), tout en acceptant de le confronter aux difficultés d’un Jazz omniprésent, ne serait-ce que dans le jeu de batterie du regretté Gar (« Evil Tears », le plus proche d’un FATES WARNING au sommet de son art). Doté d’un chanteur qui ne se prenait pas pour une Castafiore élitiste, le groupe pouvait donc se reposer sur une homogénéité de ton, sans perdre de vue son objectif initial : établir un pont entre Le Thrash et le Jazz encore plus solide que celui construit dans les années 80 par WATCHTOWER ou SIEGES EVEN (« Sphere Of Glass »). Mais avec cette production un peu confuse rappelant les premiers MEGADETH ou certaines sorties Wild Rags, des cassures constantes, des clins d’œil à peine déguisés à l’atmosphère bucolique en vogue deux décennies en amont (« Moving Underground (Bong) », sorte de mélange RUSH/ANGE), des mises en place acoustiques menant sur une musique plus mélodique que percussive (« The Unwilling » qui n’est pas sans préfigurer les KORDZ avec quelques années d’avance), et de courts inserts à cheval entre MAHAVISHNU ORCHESTRA et CORONER (« The Distant »), FATAL OPERA se distinguait trop de la masse et encore plus de ses concurrents directs ayant déjà publié des pamphlets définitifs sur le sujet (ATHEIST, SIEGES EVEN, DEATHROW…).

On retenait évidemment l’étrangeté de la chose, mais aussi sa faculté à sortir de sa zone de confort. Les quatre musiciens n’hésitaient pas à provoquer les historiens de la musique en reprenant à leur compte le diptyque légendaire de Jimi Hendrix en collant « Moon Turns The Tides » en fin de parcours, après nous avoir fait déguster une torgnole Thrash de la trempe de « Beaten Path ». Réunissant dans un même final euphorique de plus de quatorze minutes les morceaux « 1983... (A Merman I Should Turn To Be) » et « Moon, Turn The Tides... Gently Gently Away » présents sur le chef d’œuvre Electric Ladyland, FATAL OPERA jouait dangereusement avec le feu, mais remportait son pari, devenant l’un des groupes les plus cultes d’une décennie qui en compta beaucoup, et que les amateurs archéologues de l’extrême continuent de fouiller pour en exhumer les trésors les moins remarqués. Dans les faits, et replacé dans son contexte, Fatal Opera n’était pas l’œuvre définitive qu’avaient pu être Control and Resistance, Life Cycles, Unquestionable Presence, Mental Vortex ou Deception Ignored. Mais il exhalait de ce premier LP une originalité et une fraîcheur indéniable, à tel point que presque trente ans plus tard, il est toujours considéré comme l’une des curiosités les plus fameuses de son temps. Pas étonnant dès lors que l’entreprise de réhabilitation Divebomb records l’ait réédité il y a trois ans, avec nouvelle pochette (la troisième), morceaux bonus et livret épais. FATAL OPERA sortira trois albums de qualité égale en six ans, laissant sur le carreau l’ultime et excellent The Eleventh Hour en 1997, deux ans avant la mort prématurée du regretté et talentueux Gar Samuelson. Et pour tous ceux qui étaient encore stimulés par l’énonciation du mot Thrash au début des années 90, la simple évocation du nom du groupe déclenche des sourires entendus et des clins d’œil soutenus. Un secret peut-être trop bien gardé, qui mérite aujourd’hui d’être révélé à un monde qui risque fort d’être médusé d’avoir laissé ça passer.             

                                                                                                   

Titres de l’album :

                         01. Dead By 1998

                         02. Evil Tears

                         03. Sphere Of Glass

                         04. Moving Underground

                         05. The Unwilling

                         06. The Distant

                         07. Beaten Path

                         08. Overshadowed

                         09. Kill 'Em

                         10. Moon Turns The Tides

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par mortne2001 le 11/04/2020 à 14:40
90 %    1338

Commentaires (1) | Ajouter un commentaire


NecroKosmos
@90.32.61.144
12/04/2020, 10:07:48
J'avais cet album. Je ne l'ai pas gardé. Ce fut un tort car il est très bon !

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